Interview avec Benoit Montet, Global Human Resources and Innovation de Top Employer Institut

Interview avec Benoit Montet, Global Human Resources and Innovation de Top Employer Institut

Benoit Montet, Global Human Resources and Innovation chez Top Employer Institut, nous explique l’importance des softskills en entreprise. Après avoir évolué au sein de Thalès et Kiabi en tant qu’International Human Ressources, Benoit Montet devient membre de l’AFNOR Expert Comittee « Human Ressource Management ». Il rejoint par la suite Top Employer Institut en tant que directeur général France, puis devient Global RH Expert du siège. 

Comment les entreprises françaises font-elles face aux changements managériaux actuels ? Pouvons-nous parler d’une révolution managériale ?

Elles y font bien face. Ce que j’observe c’est que les français sont très interconnectés, ils parlent et échangent beaucoup. Même s’il y a une difficulté à appréhender et à faire face au changement, ceux qui seront les mieux armés seront ceux qui auront le plus échangé. 
Top Employer s’inscrit dans cette logique : nous auditons et évaluons les dispositions prises par les entreprises pour leurs employés. En fin de certification, nous leurs offrons des benchmarks ou des bonnes pratiques de solutions qui sont le plus adaptées au monde moderne. 

Comment les softskills sont-ils pris en compte au sein des entreprises certifiées par votre structure ? 

Les connaissances classiques, opérationnelles et mesurables connaissent une obsolescence de plus en plus rapide. C’est l’enjeu principal des changements actuels : l’obsolescence des connaissances. 
Il y a un changement majeur dans le leadership et le management d’aujourd’hui. Il est dangereux d’« acheter » les compétences d’un collaborateur pour des choses mesurables (développement logiciel, technique d’ingénierie) car elles sont très vite obsolètes. 
L’enjeu est d’identifier les softskills qui ne correspondent pas un savoir, mais à la capacité à apprendre. Aujourd’hui le meilleur ingénieur est celui qui est capable de s’adapter et d’apprendre. Les softskills sont encore plus nécessaires que les hardskills d’hier. 

L’intelligence émotionnelle d’une personne est-elle de plus en plus valorisée par les entreprises ? 

Oui, c’est devenu une compétence clé. Les managers n’opèrent plus uniquement avec des indicateurs, des entretiens annuels, des KPI, mais avec de l’émotion et de l’engagement. Ces notions sont relativement nouvelles et difficiles à mettre en équation pour un profil de manager classique. 

Si vous deviez garder une bonne pratique dans le développement des softskills, laquelle serait-elle ? 

La transparence et la confiance. Ce sont des choses qui s’apprennent, elles ont l’air évidentes mais non. La confiance est quelque chose de réciproque : comment être sûr que mon salarié travaille chez lui ? Un salarié qui travaille à la maison et qui bénéficie de la confiance de son manager, sera plus engagé et travaillera parfois plus qu’au bureau. 
Soit cette confiance s’accorde spontanément car c’est une prédisposition qu’on a, soit elle s’apprend car on apprend à faire confiance.
C’est la même chose pour la transparence : le fait d’être transparent incite à la transparence, cela crée une réciprocité. L’apprentissage est fondamental pour les softskills. 
On s’aperçoit aujourd’hui qu’un leader se construit. Il y a évidemment des prédispositions, mais elles se construisent aussi.

Pouvez-vous me mentionner une anecdote sur ce thème ? 

Tous les ans, nous conduisons des audits dans les entreprises sur plusieurs sujets (formalisation des politiques RH, diffusion de pratiques RH, etc). L’année dernière j’ai eu une conversation avec une entreprise qui me disait : « Vous me parlez de home-office dans votre enquête, moi je suis dans une société de distribution, cette pratique n’a pas de sens pour moi ». 
Cette année j’ai fait la même enquête, c’est lui qui a parlé du télétravail, il m’a dit : « pour moi c’est fondamental, durant la Covid tous les magasins étaient fermés. A domicile même 20% de leur temps, certains ont pu relancer les ventes en lignes grâce au fichier client ». Celui qui était à des années lumières du home office et riait de moi sur ce thème, en a aujourd’hui fait son cheval de bataille pour répondre à la crise d’aujourd’hui. 

Que pensez-vous des obligations juridiques des entreprises envers leurs collaborateurs et de l’employabilité ? 

C’est fantastique, le gouvernement est allé dans le bon sens. Il y a désormais une obligation légale de maintenir l’employabilité du collaborateur. On observe également une responsabilisation accrue de tous, l’effort est partagé entre l’entreprise et le salarié. On parle de Développement durable mais il passe aussi par le développement durable des hommes dans l’entreprise. 
La préoccupation actuelle est le temps et l’organisation associé à ces mesures. C’est beau de dire que le salarié est responsable de sa formation, qu’il doit le faire en dehors de son temps de travail. Mais comment faire pour se former sans empiéter sur son bien-être ? L’employabilité est une responsabilité double : du salarié et de l’entreprise, elle doit donc s’assurer que des temps et des lieux sont consacrés et adaptés à cela. 

Les compétences non-techniques vont-elles devenir de plus en plus importantes avec l’arrivée des millenials sur le marché du travail ?

Paradoxalement, les millenials n’en auront pas le plus besoin. Ils ont l’habitude de changer et d’utiliser les nouvelles technologies. 
L’enjeu est plutôt pour les anciennes générations. Elles doivent embarquer dans le monde digital. 
Je revendique la pratique du mentoring et du reverse mentoring : c’est l’apprentissage social des uns par les autres. 
Les savoirs sont collectifs, c’est mon principe fondamental. Chacun est détenteur d’une part du savoir, qu’il le sache ou pas. Le graal serait que chacun soit capable de formaliser, puis de transmettre ses savoirs et d’identifier le savoir de l’autre et l’intégrer. 

Pensez-vous que les entreprises réussiront à dépasser les indicateurs purement financiers, comme le ROI, dans la formation professionnelle ?

Interview avec Olivier Crouzet, directeur coordination pédagogique de l’École 42

Interview avec Olivier Crouzet, directeur coordination pédagogique de l’École 42

Bonjour Olivier, combien y a-t-il d’élèves à l’école 42 ? 

Nous avons 4000 élèves sur le campus Parisien, et davantage sur nos nombreux campus : Abu Dhabi, Moscou, Londres, Australie, Japon… Aujourd’hui plus de 11 000 élèves au niveau mondial sur un total de 34 campus !

Au cours de votre carrière avez-vous dû faire face à la gestion et formation des soft skills ? 

Tant à 42 que sur mes expériences passées, donner ces compétences aux étudiants a toujours fait partie des objectifs.
Avec la rapidité des innovations technologiques, que doivent apprendre nos étudiants pour qu’ils soient employables et opérationnels durant leurs 40 ans de carrière ? Nous devons, par la nature même de notre secteur d’activité, avoir des étudiants qui savent s’adapter et gérer de nouvelles tâches. 
Nos étudiants passent presque 24/24h sur un ordinateur ! Ils se lancent à fond dans le numérique, ils ont souvent envie de créer des jeux, mais ce qu’ils font aujourd’hui sera nécessairement dépassé dans 10 ans. Nous utilisons cependant cette appétence au numérique pour leur insuffler tout un ensemble de soft skills qui garantira la pérennité de leur emploi.
Notre modèle pédagogique s’appelle le peer learning : nous mettons nos étudiants face à des problèmes, des challenges, des logiciels à coder, tout cela sans cours et sans professeurs. Nous leurs demandons de trouver par eux-mêmes les solutions à mettre en œuvre, en collectant de l’information, puis en la testant et vérifiant de façon autonome. C’est une approche expérimentale qui demande d’oser, de se tromper, de comprendre pourquoi, de recommencer… . Les étudiants ont pour mission de douter de chaque information.
Dans ce processus, il est indispensable de collaborer avec leurs collègues pour réussir. Par ces discussions nous souhaitons créer de l’intelligence collective, faire émerger de nouvelles idées pour résoudre les problèmes posés. Cela rend les étudiants créatifs, critiques, flexibles et ouverts aux changements. Cet ensemble forme de réelles capacités d’apprentissage qui leurs permettront de faire face à un futur inconnu, voire même d’être pionniers sur certaines technologies. 
Enfin, dans notre cursus, nous savons que l’étudiant n’aura pas seulement résolu des problèmes techniques, mais qu’il aura aussi fait face à des problèmes d’ordre organisationnel et de collaboration avec les autres élèves. Nous enseignons les softskills de manière indirecte, mais elles sont indiscutablement présentes tout au long du cursus. 

Avez-vous une anecdote soulignant le besoin des soft skills dans le recrutement ? 

Le maître de stage d’un de nos étudiants de 42 nous a une fois appelé pour prolonger son contrat. Il m’expliquait qu’il avait deux autres stagiaires de fin d’études issus d’une de nos grandes écoles d’ingénieur française. Ils étaient plus matures et avaient plus de connaissances, mais ils lui posaient problème car ils réfléchissaient de la même manière. 
Notre étudiant de 42, au contraire, pensait à un tas de cas particuliers, à une approche totalement à l’envers en dehors des sentiers battus, et finalement a conduit l’entreprise à pivoter et changer d’objectif pour aller sur un marché différent. Il avait « disrupté » violemment le produit de base.
Ce n’est pas le socle de compétences techniques de notre étudiant 42 qui a été utile, mais bien l’agilité intellectuelle dont il a fait preuve. 

Quelles sont les bonnes pratiques mises en place dans votre école pour favoriser la bonne entente et la QVT ? 

Ça commence dès la piscine (ndlr. processus de sélection de l’école 42), s’ils ne collaborent pas, ils avancent moins vite que les autres. D’un côté ils vont découvrir ce qu’est le code, et de l’autre ce qu’est le travail en équipe. Au cours de l’année, on a des questions, des formes de débat relativement équilibrées qui reviennent sur nos chats internes sans qu’on ait besoin d’intervenir. Je pense que c’est grâce à la diversité de nos étudiants au sein de la communauté. 

Votre mentorat se base sur l’horizontalité ? 

Nous n’avons pas de verticalité, les étudiants peuvent faire toutes leurs études sans parler avec l’équipe encadrante. Nous n’allons jamais les aider sur un problème technique, ils viennent plutôt pour nous parler de problèmes organisationnels, comme pour mettre leurs études en pause. 
Le staff de 42 est de 35 personnes, le personnel de ménage inclus ! On ne peut pas se permettre de parler avec tout le monde.
De plus, la verticalité enlève du doute. Si à un moment, nous donnons des pistes pour résoudre les problèmes posés, les étudiants iront directement regarder le lien en se disant que c’est le cours. Ils ne vont donc jamais remettre en cause cette piste, alors que si on leur dit d’aller chercher eux-mêmes les connaissances, ils devront se poser des questions et valider la véracité, la pertinence, de tout ce qu’ils trouveront.
Nos étudiants ont accès sur notre intranet aux informations relatives à la scolarité de tous leurs camarades. Ils peuvent savoir ainsi avec qui se mettre en groupe, et où chacun se trouve dans son parcours pédagogique.

Grâce à votre expertise, comment conseilleriez-vous un manager qui a des problèmes avec la gestion de son équipe ? 

Spontanément, je lui dirai de ne pas hésiter à prendre une formation en management. Être manager, c’est une voie d’évolution classique qui souvent est liée à de nombreuses compétences métier, mais sans pour autant avoir l’âme ou tout du moins la formation de manager. Ce n’est pas une position simple et il y a beaucoup de biais. Il y a probablement un manque de compréhension du rôle, tant par les gens qui l’occupent que par ceux qui sont managés. 
L’idée de flat management avec très peu de hiérarchie, beaucoup d’autonomie et de responsabilité est intéressante. Il faudrait retrouver cette approche dans des cursus très classiques, comme au lycée par exemple.

La formation est l’enjeu actuel de l’intelligence émotionnelle ? 

Si je le pouvais, je changerais l’intégralité de la formation professionnelle de la maternelle aux études supérieures pour y intégrer ces aspects relationnels et émotionnels qui manquent aujourd’hui.
On s’est demandé si un MOOC serait intéressant pour l’école 42. Mais, jusqu’à présent, nous n’avons pas une population qui soit formée préalablement à travailler à distance et à collaborer, donc nous devons les former à ça aussi.
Tant qu’il n’y a pas un changement de paradigme de l’éducation, nous ne pourrons pas le faire. 
Chez 42, les personnes mettent un certain temps avant de commencer à se parler. Ils sont finalement forcés de collaborer et de parler à des inconnus pour trouver des solutions aux problèmes posés.
Je pense qu’il est impossible de faire la découverte de cet aspect collaboratif en étant séparés physiquement. 

Selon vous, quels ont été les changements en culture managériale ? 

Ce que j’ai vu, c’est principalement des entreprises qui, dans les 10 dernières années, se sont demandées comment faire face à la digitalisation. Elles ont compris le besoin de survie et les changements qui l’accompagnait. Elles ont pris de grandes décisions pour que leurs équipes deviennent plus agiles. 
Comment faire pour prendre le virage technologique et faire sortir de leur zone de confort plein d’employés « plan-plan » ? Comment intégrer de nouveaux salariés plus performants et agiles ? Comment redynamiser l’humain et l’entreprise ? 
Le système d’intrapreneuriat répond à cette problématique. Mobiliser 6 mois une équipe hétérogène sur un projet permet de créer une dynamique interne d’agilité. Pour renforcer cette agilité, il est possible aussi de faire venir des personnes innovantes et créatives de l’extérieur de l’entreprise.
Nous avons également beaucoup d’entreprises qui sont du type start-up. Nos étudiants les apprécient particulièrement car elles ont bien souvent des organisations « flat » avec une hiérarchie très peu marquée.

Le changement est donc réellement effectif ? 

Pour les grandes entreprises, le besoin est la survie. Pour les start-up, il y a peut-être plus de spontanéité. A mon avis, ce phénomène est relativement générationnel. Les jeunes seront capables de changer d’entreprise tous les 4 ans et leur rapport au travail est différent. Ils demandent plus d’autonomie et d’alternance. 

Interview avec Fabien Fenouillet, chercheur en sciences cognitives et professeur de psychologie positive

Interview avec Fabien Fenouillet, chercheur en sciences cognitives et professeur de psychologie positive

Fabien Fenouillet, chercheur en sciences cognitives, motivation, apprentissage, bien-être et professeur de psychologie positive à l’Université Paris Ouest Nanterre la Défense, nous éclaire sur les théories de la motivation et de l’engagement. 

Quels sont les rapports entre motivation et engagement ?

Il existe beaucoup de définitions et de théories mais pour moi l’engagement est un processus de passage à l’acte inhérent à la motivation. Avant tout engagement, nous sommes dans un état de délibération motivationnelle. Ce n’est qu’une fois la décision prise (liée à la motivation) que l’individu s’engage, qu’il ne se pose plus de questions et qu’il agit. 
Agir uniquement sur les mécanisme d’engagement et non ceux de la motivation peut induire un engagement sur  le court terme c’est-à-dire restreint uniquement à un comportement . Dans ce cas, le plus souvent, il faut toujours réengager les personnes pour les autres comportements. Tout l’intérêt de passer par la motivation est donc de favoriser la persistance de l’action.
Quelques questions peuvent nous aider à construire des profils motivationnels : pourquoi est-ce que vous faites les choses ? Pour les motifs, les valeurs, les facteurs internes et externes ? Est-ce que votre environnement vous permet de faire ce que vous voulez ? Des prises d’initiatives ? Des formations ? Est-ce que vous vous sentez capable de les faire ? Est-ce que vous allez les faire ? 
C’est le processus décisionnel qui permet d’ancrer dans le temps l’engagement, c’est donc la phase la plus importante.  

J’ai pu lire dans une étude que 15% des managers occidentaux étaient engagés, comment engager ? 

Le problème de la motivation, et de l’engagement comme concept associé, est que c’est un processus composé d’une succession d’étapes. Dans cette question je ne comprends pas comment est mesuré l’engagement et quelle est la mesure utilisée. Quand on parle de 15% de managers engagés, quelle est la mesure ? Sans cette information ces chiffres restent flous. 

Comment définir l’engagement ? 

L’engagement est un processus qui permet d’atteindre un objectif : le passage à l’acte. 
Il y a bien sûr différents modèles de l’engagement. Certains modèles donnent une définition de l’engagement très proche de celle que j’utilise pour la motivation, avec différents indicateurs comme, par exemple, les valeurs : ce que vous faites est-il quelque chose de valable ? Est-ce que vous estimez que cela vient de vous ? Est-ce que vous réalisez que vous êtes en mesure de remplir la mission ou non ? 
Différents éléments font partie de l’engagement, et s’ils ne sont pas validés, vous ne serez pas engagés. C’est un peu comme la motivation. Certains états motivationnels sont clairs. Il y a certains états où on est très motivés et d’autres où on ne l’est pas, mais en général nous sommes plus ou moins motivés, ce n’est pas dichotomique.
L’engagement ne vient pas que de son envie personnelle, il peut être créé par le processus d’un tiers. Les expériences scientifiques de la théorie de l’engagement le démontrent. 

Pour vous, quelle place ont ces études dans le monde professionnel ? 

À l’origine ce sont les travaux de Lewin qui parlent de gel cognitif. Ces techniques visent à engager la personne dans l’action pour dépasser la phase délibérative, ensuite il n’a donc plus à réfléchir à pourquoi il fait les choses mais comment il va les faire. Les techniques qui forcent le passage à l’action en prenant un raccourci trop brutal sur la phase de délibération risquent de devoir en permanence réengager le comportement. Finalement, le principal atout de certaines théories motivationnelles est qu’elles facilitent un engagement à long terme. 
Lewin voulait que l’individu s’approprie cette décision d’agir. Le processus décisionnel est le plus important et permet l’engagement à long terme. 

Quelles seraient les bonnes pratiques pour créer un engagement chez un collaborateur ? 

Vous avez des théories de l’engagement qui sont directement issues du monde de l’entreprise. De mon point de vue, cela ne me paraît pas plus différent que les autres processus décisionnels. 
Différents cadres théoriques expliquent le processus de motivation. Les deux piliers essentiels se traduisent par ces deux questions : pourquoi est-ce que vous faites les choses ? Est-ce que vous vous sentez capable de les faire (ce qui suppose que vous savez quoi et comment faire) ? Je dirai que ce sont les deux piliers de tout processus motivationnel. Le pourquoi renvoi a beaucoup d’aspects, comme la valeur (est-ce que cela vient de moi ou non) ou les besoins psychologiques de l’individu. C’est très vaste, il existe énormément d’éléments. L’idée est de donner un cadre théorique précis. 

Par exemple, s’engager pour suivre des formations professionnelles ? 

On revient à des motifs relativement classiques et ça va bien fonctionner : pourquoi feriez-vous ça ? Est-ce que votre environnement de travail vous donne les possibilités ? Est-ce qu’on vous laisse la possibilité ? Est-ce que vous pensez la suivre ? 
On pourra construire un profil motivationnel et se dire si oui ou non on va s’engager facilement. Dans tous les cas, ces théories ne sont pas « on/off ». On ne se dit pas que cela va fonctionner pour chaque individu, on est plus sur un ensemble d’individus.  

Qu’en est-il de l’entretien motivationnel ? 

C’est une stratégie que l’on utilise pour que les individus se positionnent pour leur motif réel. C’est une technique de changement. Vous allez basculer en faisant une action mais surtout en continuant à la faire. 

L’enjeux par rapport à l’engagement est donc la persistance ? 

Oui, totalement. 

Interview avec Thierry Bonetto, ancien directeur Learning de Danone et fondateur de Learning Futures

Interview avec Thierry Bonetto, ancien directeur Learning de Danone et fondateur de Learning Futures

Thierry Bonetto, fondateur de Learning Futures, membre de SOL (Society for Organizational Learning) et ancien directeur Learning Danone, est expert en apprentissage, leadership et développement des organisations. Après 10 ans de carrière en conseil, il rejoint Danone en tant que directeur du développement des compétences, puis directeur Learning au niveau mondial où il développe la Danone Academy. Il fonde par la suite Learning Futures pour aider à concevoir des programmes stratégiques d’apprentissage et de leadership.

Quels sont les facteurs clés d’un apprentissage réussi ? 

De mon point de vue, la réussite d’une formation se détermine par son impact sur la pratique, tant dans le contexte professionnel que personnel. Plusieurs éléments vont augmenter la probabilité qu’une formation fonctionne : l’inspiration (quand quelque chose nous plaît, on a beaucoup plus de chance de l’essayer), la dimension émotionnelle, l’ancrage dans la réalité (avec l’étude de cas réels), la dimension sociale, la réflexivité personnelle (qu’est-ce que je tire de ma formation et qu’est-ce que je vais changer ?), l’investissement du manager dans le processus et l’équilibre des activités d’outillage et de réflexion. Il est important d’intégrer les outils qu’on utilise dans une réflexion : par exemple, on peut vous demander d’utiliser un outil de définition d’objectif comme la méthode SMART ; mais si on vous demande de réfléchir par rapport à vos modèles mentaux, vous n’allez pas fixer les mêmes objectifs, alors que la méthode est la même. La prise de recul est une attitude qui doit être abordée systématiquement lors de l’acquisition de nouvelles pratiques et outils. 

Qu’est-ce qu’une entreprise apprenante ? 

J’aime la définition simple de Peter Senge (directeur du Center for Organisational Learning au MIT) : une organisation apprenante est « une organisation qui étend en continu sa capacité à créer son futur ». C’est une organisation organique qui libère les aspirations individuelles et collectives, qui facilite l’apprentissage de l’individu, de ses équipes et qui se transforme.  
Il est important de distinguer quatre niveaux : l’individu, l’équipe, l’organisation et l’écosystème. Beaucoup de livres blancs se focalisent sur le seul point de vue individuel avec l’apprentissage des individus au sein de l’organisation. Il est également important de se centrer sur le point de vue organisationnel : comment l’organisation est capable de créer de nouvelles capabilités et de les diffuser en son sein. La capacité d’innovation est très importante. 
Lorsque j’ai pris le rôle de directeur learning, Danone était déjà reconnu comme une école de RH ou de Marketing, instaurant des techniques innovantes. En plus de former ses collaborateurs, Danone avait su mettre en place des pratiques et des savoir-faire distinctifs. Il est essentiel de faire circuler les savoir-faire et connaissances afin que tout le monde puisse monter en compétences. Le « learning » est aussi un outil pour faire passer l’innovation au sein de toute l’entreprise. 

Pouvez-vous me donner des exemples de bonnes pratiques chez Danone qui ont permis cette avant-garde ? 

Danone a mis en place assez tôt plusieurs outils pour faciliter la circulation de bonnes pratiques entre les équipes des différentes filiales. Par exemple, les Marketplace : des « places de marché » qui se déroulaient lors des campus de formation, des conventions fonctionnelles ou business, où les participants pouvaient « acheter » des « bonnes pratiques » à travers une approche à la fois très structurée et « fun ».
Un autre rituel mis en place, notamment lors des formations, a été le « Message in the Bottle » : chaque participant à la formation pense à un problème rencontré dans le cadre de son travail et le note sur un post it en forme de « bouteille à la mer » ; les participants qui ont déjà rencontré ce type de problème et ont trouvé des idées de solution, placent un post-it en forme de bouée à côté de la bouteille : créant ainsi une connexion pour ensuite partager les réponses.

Nous avons avec l’équipe Danone Academy, investi beaucoup d’énergie à faire changer la croyance qu’un apprentissage se fait uniquement en formation présentielle. Nous avons lancé en 2013 la stratégie « one learning a day » (un apprentissage par jour »), pour tirer parti de chaque situation pour se former : une discussion, une  réunion, un webinar, une session de résolution de  problème. Nous avons beaucoup communiqué – à l’occasion de campus de formations, ou de webinars – pour éduquer les collaborateurs – et toutes les équipes learning- sur le modèle 70-20-10, afin de prendre conscience  que l’apprentissage passe surtout par la pratique dans son environnement de travail. 

Les dynamiques d’organisation apprenante concernent aussi tous les collaborateurs. Nous avons lancé une initiative “Campus for all” : évènement organisé au niveau d’un pays pendant une semaine, engageant tous les collaborateurs sur des activités de formation. 
Ou encore, en Indonésie, l’aménagement d’un camion permettant de silloner les usines locales afin de sensibiliser les opérateurs sur différents thèmes comme la santé alimentaire et la lutte anticorruption. 

Est-ce que vous avez un souvenir de difficulté de soft skills avec une personne de votre milieu professionnel ? 

L’un des thèmes sur lequel nous avons travaillé est la responsabilisation – au sens de la prise de risque dans la capacité de chacune et chacun à répondre – et non pas seulement réagir – à une situation. Cette notion est très liée au mode de fonctionnement et à la culture managériale ; au-delà des processus de validation, elle me semble importante dans un monde qui change. 

Avez-vous un exemple démontrant l’atout des softskills dans le recrutement ? 

Dès 2009 nous avons lancé un programme et modèle de leadership. L’idée était d’aider les 18 000 managers à devenir des leaders. Ce premier modèle, dénommé CODE, puis CODES, incluait les ingrédients clés suivants : 

C – Creates a meaningful future : la capacité à créer un futur ambitieux 
O – Opens connections inside and outside : la capacité à créer des connexions dans et hors l’entreprise avec, par exemple, la culture du feedback. 
D- Drives for substainable results : l’importance d’avoir des résultats durables au sein de l’organisation. 
E – Empowers oneself and diverse teams : développer les connaissances des collaborateurs au sein de l’équipe. 
S- pour Self-aware: mieux se comprendre, comprendre ses émotions et ses talents. 

Au-delà des programmes de formation pour développer chacune et chacun comme « CODES leader », ce modèle a été introduit dans le recrutement, en complément des compétences techniques et fonctionnelles.

Comment réussissiez-vous chez Danone à être si innovant ? 

C’est plus une question de mindset que de budget. En 2009, quand nous avons décidé de monter un modèle de leadership pour former tous les managers c’était un pari – pari d’ailleurs cohérent avec le C de CODE, représentant la croyance de l’entreprise, la capacité à se projeter et à viser haut ; tout comme le fait d’être agile sur lequel insistait beaucoup notamment Franck Riboud : être agile pour prendre des chemins distinctifs, stratégiquement hors du commun, et demandant moins de ressources que des voies « mainstream » choisies par les concurrents.

Échange avec Martine Assar sur les soft skills à l’ère du digital

Échange avec Martine Assar sur les soft skills à l’ère du digital

Martine Assar, responsable Formation, Métiers et Compétences en charge de l’Observatoire des métiers de l’IMT _ INSTITUT MINES TELECOM & Chef de projet “Osons l’industrie du futur”, nous en dit plus sur la révolution digitale et l’importance de la maîtrise des soft skills pour la métamorphose industrielle.  

Quels sont les enjeux de l’intelligence émotionnelle dans le monde professionnel ? 

L’intelligence émotionnelle est composée de deux termes contraires : l’intelligence, qui fait référence à l’analyse et au raisonnement, et l’émotion qui renvoie à un état affectif. Pour essayer d’en donner une définition courte, on parle généralement de la capacité à reconnaître, identifier et définir ses émotions et celles des autres pour les comprendre et les gérer à bon escient. 
Dans le monde professionnel actuel, le fait de pouvoir se connaître et maîtriser ses émotions devient une compétence comportementale de plus en plus nécessaire. Et à l’heure de la crise sanitaire que nous vivons, cela devient indispensable. Mieux appréhender sa météo émotionnelle intérieure permet d’améliorer sa relation avec les autres. De plus, la capacité de bien connaître et être à l’écoute des autres permet de motiver et favoriser l’implication de ses collaborateurs, mais également de construire des communications plus saines, avec plus de coopération et avec pour résultat une meilleure performance individuelle et collective. Nous sommes entrés dans la 4èmerévolution industrielle. Les entreprises ont besoin de collaborateurs qui s’impliquent dans cette révolution digitale avec une faculté d’adaption en continu. Cette révolution n’est possible que si les collaborateurs sont capables de mettre en œuvre des compétences de savoir-être. L’identification de ces compétences a été réalisée dans le cadre du Projet « Osons l’industrie du futur » dans plusieurs secteurs de l’industrie.

Justement, pouvez-vous nous en dire plus sur “Osons l’Industrie du Futur”? 

En tant que chef de projet, j’ai piloté la participation de l’IMT dans le Projet “Osons l’industrie du futur”. Ce projet, conduit par l’Alliance industrie du futur (AIF) dans le cadre d’un PIA CSTI, a rassemblé plusieurs partenaires : l’UIMM, l’ENSAM, l’ONISEP et l’IMT. 
Pour recontextualiser la naissance de ce projet, il faut revenir aux années 2000, avec un climat industriel assez morose lié à de nombreux plans sociaux, à des délocalisations également. En 2012, un rapport produit par Louis Gallois met en évidence la forte baisse d’attractivité de l’industrie française liée à des considérations comme la pénibilité, les tensions sur l’emploi, le non-respect des préoccupations environnementales … Au niveau de la formation, on a également observé un manque d’adéquation avec les besoins des entreprises industrielles. Contrairement à l’Allemagne, qui lançait le concept d’industrie 4.0 dès 2011, la France était en retard sur la robotisation ou l’intelligence des objets. 

Arnaud Montebourg, Ministre de l’Économie, du Redressement productif et du Numérique a décidé de lancer le grand programme de la Nouvelle France industrielle en 2013 et nous sommes rapidement passés à l’action pour lancer la modernisation et la numérisation de notre appareil productif.
Le projet « Osons l’industrie du futur”est né en mars 2016. C’est un projet collaboratif qui prend acte des différentes transformations dans la société, et qui a comme objectif de rendre l’industrie plus attractive. Ce projet vise à sensibiliser les différents publics cibles comme les jeunes, leurs parents, les différents prescripteurs et les salariés à la transformation des secteurs et des métiers à l’aune de l’intégration des nouvelles technologies. Il est également destiné aux différents opérateurs de formation (publics ou privés) afin de les aider à mettre à jour voire à créer de nouveaux parcours de formation dans le souci de mieux former à l’industrie du futur.

Nous avons étudié 6 familles métier qui rencontrent des difficultés de recrutement, qui sont transfilières et qui concernent plusieurs branches industrielles: la recherche et la conception, la production, la supply chain, la maintenance, le big data et le management. Nous avons produit 6 études sectorielles, 18 fiches métiers, 18 kits de compétences, 8 modules complémentaires sur des thématiques clés, 6 livrets de communication et 2 espaces de diffusion (le site Osons l’industrie et l’espace Mon industrie sur le site de l’Onisep). Toute cette production est accessible gratuitement sur le site Osons l’industrie (http://www.industrie-dufutur.org/osons-lindustrie/).

Les soft skills font-ils partie de la 4ème révolution et quelle est leur place ? 

On a souvent entendu et pu lire des études assez alarmistes nous dire que l’être humain va être chassé des usines par les robots, avec des milliers d’emplois supprimés. On ne peut être aussi catégorique que cette affirmation, il y aura des disparitions d’emplois et de métiers, certes, mais elles seront plus dues à une transformation de ces derniers vers des métiers plus qualifiés. Il faut se dire que rien ne remplacera jamais l’intelligence humaine. Celle-ci met en oeuvre un assemblage de compétences qui est en constante évolution et adaptation. 
Ainsi, on voit une forte tendance, depuis quelques années, à rechercher particulièrement les compétences liées aux savoir-être. Une étude du World Economic Forum de 2016 plaçait l’intelligence émotionnelle à la 6 ème place du classement des 10 compétences clés à l’heure de la quatrième révolution industrielle. 
On a beaucoup de mal à trouver une expression qui synthétise ce type de compétence : savoir comportemental, savoir socio-comportemental. Pléthore d’expressions pour essayer de dire que toutes ces compétences sont indispensables pour appréhender et intégrer les nouvelles technologies en s’y adaptant. Leur intégration va induire des changements dans l’exécution des activités, ce qui va requérir de la part de chaque collaborateur des capacités de collaboration, d’adaptation et une meilleure communication. L’industrie du futur donne beaucoup plus sa place à l’humain, à son épanouissement et à son bien-être, en tout cas, c’est le souhait de plus en plus exprimé par l’ensemble des salariés même si cela est fortement porté par les nouvelles générations qui recherchent du sens au travail. Les nouvelles technologies serviront à décharger l’humain du travail pénible et lui permettront de développer sa créativité et son sens de l’innovation. Nous voyons qu’il s’agit plus aujourd’hui d’assembler des compétences clés, c’est précisément cet assemblage, cette combinaison qui doit constituer le cœur de la transformation des entreprises.

Quels sont les atouts de ces soft skills en entreprise ? 

Une étude sur l’OCDE en 2018 démontre qu’en 1969 une compétence technique durait un peu plus de 22 ans alors qu’en 2018 cette même compétence avait une durée de 2 ans et demi. Pour faire face à l’évolution de son métier, la faculté à acquérir de nouvelles compétences, à se former en continu et à être ouvert seront des éléments fondamentaux. On a pris acte de l’obsolescence des compétences, et le meilleur remède pour être en phase avec les tâches dont on a la charge, c’est de se former en continu et d’adapter ses compétences. 
Les polycompétences sont le corollaire d’une transformation industrielle efficiente. Les compétences techniques et socio-émotionnelles doivent se combiner pour être plus efficaces et plus performantes, aussi bien pour les organisations que pour les individus.  Les profils performants seront des profils hybrides avec une palette de compétences très étendue. 

Quelles sont les bonnes pratiques faites en entreprise pour mettre à niveau les soft skills ?

Vous avez différentes pratiques. Certaines entreprises ont pris le parti de créer des structures internes de formation. Des structures physiques (des académies, des universités) qui réalisent au préalable une cartographie des compétences nécessaires dans leur organisation pour mieux évaluer ce qu’il sera nécessaire de positionner en termes de formation. 
D’autres entreprises ont misé sur des campus virtuels, pour permettre aux salariés de renforcer des compétences qu’ils mobiliseront rapidement, dans le souci de permettre à chaque salarié d’être en adéquation avec son poste de travail
Et certaines ont décidé, en lien avec la “loi choisir son avenir professionnel” du 5 septembre 2018, de créer leur propre CFA pour pouvoir gérer la formation initiale. Les entreprises, seules ou accompagnées d’entreprises du même secteur, coopèrent pour former des apprentis directement employables dans leurs organisations.
Les entreprises ont amorcé une démarche de réactivité. Elles ont pris conscience que la formation était un levier stratégique dans la bonne transformation de leur organisation, et c’est pourquoi elles n’hésitent plus à investir massivement dans ce secteur.  
Pour aller plus loin sur le sujet, je vous invite à télécharger l’enquête où nous avons mis le focus sur la formation en entreprise, en mettant en lumière d’une part, la mutation opérée par le numérique dans le secteur de la formation, et d’autre part, le positionnement  dans ce nouveau contexte des acteurs traditionnels de la formation pour repenser leur place, leur rôle par rapport à des nouveaux concurrents qui vont bousculer ce secteur (https://www.imt.fr/formation/debouches-et-metiers/la-formation-en-entreprise-une-enquete-sur-les-defis-a-relever/).

Pouvez-vous me mentionner une anecdote sur l’importance des softskills? 

Pendant le projet « Osons », nous avions organisé une table ronde sur le secteur de la maintenance en collaboration avec l’IUMM de Saint-Etienne, avec plusieurs entreprises et professionnels de la maintenance. Un responsable de maintenance nous a confirmé toute la difficulté qu’il avait à intégrer des jeunes. Certains jeunes pensent que seuls les savoir-faire sont importants, ils le sont et le resteront assurément mais plus tout seuls. Chaque jour, il avait à répéter des bases de la politesse comme dire bonjour ou communiquer régulièrement avec ses collègues. Le manque de savoir-être de ces jeunes était problématique pour leur intégration, entraînant des départs volontaires ou forcés. Les jeunes générations demandent plus de bien-être, mais certains n’ont pas conscience de l’impact de leur comportement sur les autres. D’où, là aussi, l’importance à les former à ce type de compétences durant leur cursus.
Lorsque l’on souhaite être recruté, il est important de montrer que l’on comprend ce que représentent les soft skills et que l’on est en situation de les développer. Monster a fait une étude démontrant que 97% des recruteurs prennent en compte les soft skills. Les jeunes doivent donc être plus que jamais sensibilisés à l’importance de ce type de compétences dans un recrutement comme dans l’exercice de leur activité professionnelle.

Quel conseil donneriez-vous à un manager ? 

On demande beaucoup de choses à un manager : mieux se connaître, être plus à l’écoute du ressenti et de la météo émotionnelle de ses collaborateurs… Tout le monde n’est pas capable de pouvoir rassembler toutes ces compétences d’où l’importance de la formation pour les acquérir ou les renforcer. Le management en distanciel, accentué actuellement par la crise sanitaire, et l’utilisation intensive des outils numériques en a gêné plus d’un/une. Les managers doivent être accompagnés et formés et ne pas hésiter à mobiliser du temps de formation pour être plus et mieux préparés à ces évolutions qui vont en s’accélérant avec une recommandation pour aller aussi vers de l’auto-formation.

Interview avec Luc Julia, cofondateur de Siri, CTO et Vice-Président Innovation SAMSUNG

Interview avec Luc Julia, cofondateur de Siri, CTO et Vice-Président Innovation SAMSUNG

« Je suis très content des gens très forts en hardskills, mais en même temps je peux les détester s’ils sont déficients en softskills, car ils ne sont pas bons dans la vie »

Dr Luc Julia, co-créateur de Siri et Vice-Président de l’innovation chez Samsung Electronics, dirige le Laboratoire d’intelligence artificielle de Samsung (SAIL) à Paris. 
Après avoir obtenu un DEA d’informatique à l’Université Pierre-et-Marie Curie, Luc Julia réalise un Doctorat d’informatique à l’École Nationale Supérieure des télécommunications. Chercheur dans les domaines des interfaces vocales à la Silicon Valley, il participe au lancement de Nuance Communications et fonde le Computer Human Interaction Center (CHIC).
Expert en intelligence artificielle, titulaire de nombreux brevets et distinctions, Luc Julia partage avec nous son point de vue sur l’IA et la formation. 

En tant que manager, que vous inspirent les softskills ?
Je suis pour la pluridisciplinarité. Je suis très content des gens ayant de bons hardskills, mais en même temps je peux les détester s’ils sont déficients en softskills, car ils ne sont pas bons dans la vie. Je veux des ingénieurs ouverts sur le monde. Je veux qu’ils comprennent leur spécialisation à l’aune des softskills, ce que moi j’appelle la vie. Une personne douée en histoire, en philosophie, cela m’intéresse. La pluridisciplinarité d’une équipe est très importante mais je cherche surtout des collaborateurs qui soient curieux et capables de s’intéresser à plusieurs disciplines. 

Quels sont les outils que vous privilégiez pour mettre en place les softskills ?
Je privilégie l’autorité “tu le fais” tout en donnant réellement du temps pour le faire. Pour cela, j’ai instauré le 20% play time, pendant 1 jour par semaine mes collaborateurs font tout sauf mes projets. Ils s’intéressent à autre chose, travaillent sur des projets qui les passionnent ou pratiquent des activités qui permettent le développement de softskills. Ils peuvent par exemple faire des Moocs ou assister à des conférences de chercheurs de Harvard ou Stanford.

Pouvez-vous me donner une anecdote sur les personnes qui sont très fortes en hardskills mais déficientes en softskills ?
L’hyperspécialisation mène à de l’arrogance. Les hyperspécialisés ne veulent pas échanger, partager et collaborer avec les équipes. Ces comportements et le manque de pluridisciplinarité entraînent des conflits d’équipes.

Certaines pratiques comme le 20% playtime sont-elles un remède pour que les équipes soient innovantes ? 
Je combine le 20% playtime à d’autres méthodes. Je considère que 8 heures de travail par jour c’est trop, c’est pour ça que je veux les laisser respirer. Mes collaborateurs travaillent sur plusieurs projets durant une même semaine. La diversité des projets et des tâches permet au cerveau de s’aérer et de consolider les informations. Au final, le collaborateur est plus créatif, il réalise un travail de meilleure qualité. Six heures de travail effectif par jour me parait optimal.

Comment la transformation digitale permet-elle une révolution managériale ?
Je pense que le confinement a mis en lumière la force du digital : les outils de partage entre les équipes rendent les collaborations numériques beaucoup plus intéressantes. Pour nous, ce n’est pas une découverte. Ces outils amènent de l’agilité. 

Comment les entreprises françaises font face aux changements managériaux ? 
Tout commence par l’éducation. Il est important de s’éduquer et de comprendre la face cachée de ces outils. Il ne faut pas écouter les mythes diffusés à la télé. L’IA sont des outils mathématiques logiques. Il est nécessaire de comprendre comment les data sont utilisées et récoltées. Si l’on ne comprend pas comment l’IA fonctionne, on ne peut pas se poser les bonnes questions ; tant sur la qualité des datas, que sur leur collecte ou le contexte de la collecte. Les IA posent beaucoup de problèmes éthiques, on peut mal les utiliser, mais en soi ce sont les humains qui créent le risque.

Quels sont les enjeux de l’IA envers l’intelligence émotionnelle ?
On sait appliquer l’IA à des choses faciles. Maintenant on va passer un cran au-dessus. 
La parole, par exemple, amène de l’émotion. L’IA pourra comprendre que, lorsque quelqu’un s’énerve, le message est modifié par les émotions. On va apprendre à ajouter des paramètres, des multi modalités qui permettront une analyse plus poussée du discours. L’émotion sera de plus en plus analysable.

Est-ce qu’il peut y avoir des IA spécialisées dans la formation ? 
Oui il y en a, par exemple, dans l’aide à la formation ou dans le choix des thèmes à travailler. Des IA analysent déjà des comportements, des CV ou encore des écrits. 

L’IA peut-elle s’appliquer à tout ?
Bien qu’ils posent de nombreux problèmes éthiques, les champs d’application de l’IA sont vastes. Comme tous les outils, ils vont être spécialisés dans des domaines particuliers.