Bonjour Olivier, combien y a-t-il d’élèves à l’école 42 ? 

Nous avons 4000 élèves sur le campus Parisien, et davantage sur nos nombreux campus : Abu Dhabi, Moscou, Londres, Australie, Japon… Aujourd’hui plus de 11 000 élèves au niveau mondial sur un total de 34 campus !

Au cours de votre carrière avez-vous dû faire face à la gestion et formation des soft skills ? 

Tant à 42 que sur mes expériences passées, donner ces compétences aux étudiants a toujours fait partie des objectifs.
Avec la rapidité des innovations technologiques, que doivent apprendre nos étudiants pour qu’ils soient employables et opérationnels durant leurs 40 ans de carrière ? Nous devons, par la nature même de notre secteur d’activité, avoir des étudiants qui savent s’adapter et gérer de nouvelles tâches. 
Nos étudiants passent presque 24/24h sur un ordinateur ! Ils se lancent à fond dans le numérique, ils ont souvent envie de créer des jeux, mais ce qu’ils font aujourd’hui sera nécessairement dépassé dans 10 ans. Nous utilisons cependant cette appétence au numérique pour leur insuffler tout un ensemble de soft skills qui garantira la pérennité de leur emploi.
Notre modèle pédagogique s’appelle le peer learning : nous mettons nos étudiants face à des problèmes, des challenges, des logiciels à coder, tout cela sans cours et sans professeurs. Nous leurs demandons de trouver par eux-mêmes les solutions à mettre en œuvre, en collectant de l’information, puis en la testant et vérifiant de façon autonome. C’est une approche expérimentale qui demande d’oser, de se tromper, de comprendre pourquoi, de recommencer… . Les étudiants ont pour mission de douter de chaque information.
Dans ce processus, il est indispensable de collaborer avec leurs collègues pour réussir. Par ces discussions nous souhaitons créer de l’intelligence collective, faire émerger de nouvelles idées pour résoudre les problèmes posés. Cela rend les étudiants créatifs, critiques, flexibles et ouverts aux changements. Cet ensemble forme de réelles capacités d’apprentissage qui leurs permettront de faire face à un futur inconnu, voire même d’être pionniers sur certaines technologies. 
Enfin, dans notre cursus, nous savons que l’étudiant n’aura pas seulement résolu des problèmes techniques, mais qu’il aura aussi fait face à des problèmes d’ordre organisationnel et de collaboration avec les autres élèves. Nous enseignons les softskills de manière indirecte, mais elles sont indiscutablement présentes tout au long du cursus. 

Avez-vous une anecdote soulignant le besoin des soft skills dans le recrutement ? 

Le maître de stage d’un de nos étudiants de 42 nous a une fois appelé pour prolonger son contrat. Il m’expliquait qu’il avait deux autres stagiaires de fin d’études issus d’une de nos grandes écoles d’ingénieur française. Ils étaient plus matures et avaient plus de connaissances, mais ils lui posaient problème car ils réfléchissaient de la même manière. 
Notre étudiant de 42, au contraire, pensait à un tas de cas particuliers, à une approche totalement à l’envers en dehors des sentiers battus, et finalement a conduit l’entreprise à pivoter et changer d’objectif pour aller sur un marché différent. Il avait « disrupté » violemment le produit de base.
Ce n’est pas le socle de compétences techniques de notre étudiant 42 qui a été utile, mais bien l’agilité intellectuelle dont il a fait preuve. 

Quelles sont les bonnes pratiques mises en place dans votre école pour favoriser la bonne entente et la QVT ? 

Ça commence dès la piscine (ndlr. processus de sélection de l’école 42), s’ils ne collaborent pas, ils avancent moins vite que les autres. D’un côté ils vont découvrir ce qu’est le code, et de l’autre ce qu’est le travail en équipe. Au cours de l’année, on a des questions, des formes de débat relativement équilibrées qui reviennent sur nos chats internes sans qu’on ait besoin d’intervenir. Je pense que c’est grâce à la diversité de nos étudiants au sein de la communauté. 

Votre mentorat se base sur l’horizontalité ? 

Nous n’avons pas de verticalité, les étudiants peuvent faire toutes leurs études sans parler avec l’équipe encadrante. Nous n’allons jamais les aider sur un problème technique, ils viennent plutôt pour nous parler de problèmes organisationnels, comme pour mettre leurs études en pause. 
Le staff de 42 est de 35 personnes, le personnel de ménage inclus ! On ne peut pas se permettre de parler avec tout le monde.
De plus, la verticalité enlève du doute. Si à un moment, nous donnons des pistes pour résoudre les problèmes posés, les étudiants iront directement regarder le lien en se disant que c’est le cours. Ils ne vont donc jamais remettre en cause cette piste, alors que si on leur dit d’aller chercher eux-mêmes les connaissances, ils devront se poser des questions et valider la véracité, la pertinence, de tout ce qu’ils trouveront.
Nos étudiants ont accès sur notre intranet aux informations relatives à la scolarité de tous leurs camarades. Ils peuvent savoir ainsi avec qui se mettre en groupe, et où chacun se trouve dans son parcours pédagogique.

Grâce à votre expertise, comment conseilleriez-vous un manager qui a des problèmes avec la gestion de son équipe ? 

Spontanément, je lui dirai de ne pas hésiter à prendre une formation en management. Être manager, c’est une voie d’évolution classique qui souvent est liée à de nombreuses compétences métier, mais sans pour autant avoir l’âme ou tout du moins la formation de manager. Ce n’est pas une position simple et il y a beaucoup de biais. Il y a probablement un manque de compréhension du rôle, tant par les gens qui l’occupent que par ceux qui sont managés. 
L’idée de flat management avec très peu de hiérarchie, beaucoup d’autonomie et de responsabilité est intéressante. Il faudrait retrouver cette approche dans des cursus très classiques, comme au lycée par exemple.

La formation est l’enjeu actuel de l’intelligence émotionnelle ? 

Si je le pouvais, je changerais l’intégralité de la formation professionnelle de la maternelle aux études supérieures pour y intégrer ces aspects relationnels et émotionnels qui manquent aujourd’hui.
On s’est demandé si un MOOC serait intéressant pour l’école 42. Mais, jusqu’à présent, nous n’avons pas une population qui soit formée préalablement à travailler à distance et à collaborer, donc nous devons les former à ça aussi.
Tant qu’il n’y a pas un changement de paradigme de l’éducation, nous ne pourrons pas le faire. 
Chez 42, les personnes mettent un certain temps avant de commencer à se parler. Ils sont finalement forcés de collaborer et de parler à des inconnus pour trouver des solutions aux problèmes posés.
Je pense qu’il est impossible de faire la découverte de cet aspect collaboratif en étant séparés physiquement. 

Selon vous, quels ont été les changements en culture managériale ? 

Ce que j’ai vu, c’est principalement des entreprises qui, dans les 10 dernières années, se sont demandées comment faire face à la digitalisation. Elles ont compris le besoin de survie et les changements qui l’accompagnait. Elles ont pris de grandes décisions pour que leurs équipes deviennent plus agiles. 
Comment faire pour prendre le virage technologique et faire sortir de leur zone de confort plein d’employés « plan-plan » ? Comment intégrer de nouveaux salariés plus performants et agiles ? Comment redynamiser l’humain et l’entreprise ? 
Le système d’intrapreneuriat répond à cette problématique. Mobiliser 6 mois une équipe hétérogène sur un projet permet de créer une dynamique interne d’agilité. Pour renforcer cette agilité, il est possible aussi de faire venir des personnes innovantes et créatives de l’extérieur de l’entreprise.
Nous avons également beaucoup d’entreprises qui sont du type start-up. Nos étudiants les apprécient particulièrement car elles ont bien souvent des organisations « flat » avec une hiérarchie très peu marquée.

Le changement est donc réellement effectif ? 

Pour les grandes entreprises, le besoin est la survie. Pour les start-up, il y a peut-être plus de spontanéité. A mon avis, ce phénomène est relativement générationnel. Les jeunes seront capables de changer d’entreprise tous les 4 ans et leur rapport au travail est différent. Ils demandent plus d’autonomie et d’alternance.