Article original publié dans le MagRH


Les soft skills sont à la mode, elles sont le premier critère de recrutement, et dépassent même les compétences métier face à l’obligation de transformation digitale à marche forcée.

Une fois qu’on a dit ça, on n’a rien dit … et oui, les soft skills, et autres compétences managériales sont comportementales et intimement liées aux émotions et à la complexité de l’être humain !

Nous apportons dans cet article des réponses aux questions suivantes :

Quelle est notre capacité à changer de comportement ?
Comment remplacer un comportement existant ?
Quel est l’’intérêt du Learning by doing ?
Comment faire pratiquer ? 
N’est-il pas paradoxal d’associer technologie et Learning by doing ?
Et les apprenants dans tout ça ?

Les soft skills sont des compétences comportementales humaines, liées à nos émotions, à notre connaissance de nous-même. Les neurosciences ont beaucoup évolué ces 3 dernières décennies et nous permettent aujourd’hui de comprendre comment un comportement naît, s’ancre et se modifie. Parallèlement est apparu le courant de la Psychologie Comportementale et l’ère du Numérique. Au regard de ces nouvelles connaissances et sciences, comment la formation professionnelle peut-elle faire évoluer ses pratiques pour gagner en efficacité tout en réduisant ses coûts pour être accessible à un public plus large ?

La singularité des soft skills

En anglais, les soft skills regroupent par opposition aux hard skills toutes les compétences qui ne touchent pas à la technicité des métiers. Elles correspondent en français au savoir-être, aux compétences transverses ou sociales.

Les soft skills sont des comportements sociaux reliés à nos émotions. L’intelligence émotionnelle est le pilier des soft skills. Les travaux de Beck (1)illustrent bien ces liens d’interdépendance entre les pensées, les émotions et les comportements.

Quelle est notre capacité à changer de comportement ?

Prenons l’exemple des résolutions de nouvelle année, souvent basée sur un comportement que l’on souhaite modifier pour notre propre bien, de notre propre initiative. Avec cette motivation maximale, le changement devrait être simple et rapide. 
Pourtant, on le sait tous par expérience, peu d’entre nous parviennent à tenir ces résolutions, précisément 12% selon une étude menée par le professeur Wiseman de l’université de d’Hertfordshire, Angleterre. Une autre étude scientifique (2) a montré que l’adoption d’un nouveau comportement prenait entre 18 et 254 jours.

Le frein biologique au changement

Le cerveau représente 3% de la masse corporelle et pourtant il consomme 15 à 25% de l’énergie entière du corps humain (3). 
Le cortex préfrontal est le plus énergivore, c’est celui qui sert dans les apprentissages, la cognition, l’analyse et la réflexion. Pour maîtriser sa consommation énergétique, notre cerveau “stock” de nombreuses informations et privilégie celles qui lui semblent les plus utiles. Ensuite le cerveau n’a plus qu’à aller piocher dans les réponses stockées existantes de façon automatique, c’est à dire sans passer par le cortex préfrontal ce qui lui économise de l’énergie.
Pour les comportements la difficulté est double : ils sont liés à nos émotions et en tant qu’adulte nous avons déjà des stratégies très ancrées pour chaque type de comportement.

Comment remplacer un comportement existant ? L’intérêt du Learning by doing

Un comportement est comme une connaissance, il est présent physiquement dans le cerveau via un réseau de neurones reliés par des connexions synaptiques. 
Le choix d’un comportement est l’association de notre niveau de contrôle des émotions liées à ce comportement et de la puissance de son ancrage due à la répétition passée de son utilisation.
La maîtrise des émotions et la pratique sont deux étapes essentielles pour ancrer de nouveaux comportements. La pratique signifie que l’individu va devoir consciemment adopter un nouveau comportement, à plusieurs reprises, jusqu’à ce que ce nouveau comportement devienne plus ancré que l’ancien et puisse ainsi être choisi préférentiellement par le cerveau.
Qu’ils soient présentiels (trop court pour ancrer une pratique) ou distanciels (basés sur la connaissance) les modes de formation existants n’ont que peu d’efficacité sur les soft skills.

La méthode appelée 70-20-10 (4) à théorisée l’aspect essentiel de l’apprentissage informel par la pratique. Elle définit qu’un apprentissage s’acquière à 70% par la pratique, 20% par les échanges sociaux et 10% par la connaissance.

Comment faire pratiquer ?

En psychologie, deux courants de recherche sont très avancés sur l’étude et l’influence des comportements.

En premier lieu, le mouvement Behavioriste, basé historiquement sur les travaux de Skinner (5) et Pavlov (6), étudie les mécanismes de changement de comportements. Il est par exemple à l’origine des Thérapies Cognitives et Comportementales ou encore de la pratique du Feedback dans l’OBM, la branche appliquée aux organisations. Les neurosciences ont depuis validé ces recherches en les reliant au système de récompense du cerveau, responsable notamment des addictions.

Deuxièmement la force de l’influence sociale sur nos comportements. Nous adaptons nos comportements et attitudes en fonction de notre environnement. La découverte de neurones miroirs tendrait à confirmer biologiquement ces recherches. D’autre part un autre courant d’influence sociale étudie le rôle des biais cognitifs (7) dans la persuasion (8), il est utilisé avec succès par les publicitaires depuis plusieurs décennies.

L’association paradoxale de la technologie et du Learning by doing ?

La science qui utilise les données de recherches en psychologie comportementale au profit du numérique est appelée Captologie.

C’est en appliquant tous ces mécanismes de récompenses et sociaux que les créateurs de jeux vidéos parviennent à maintenir l’attention des joueurs durant de nombreuses heures et à les faire jouer de façon répétée. Ces mêmes concepts sont aussi utilisés par Facebook ou encore Google.

Non seulement ils “captent” les individus, mais en plus ils changent durablement les comportements. La sur sollicitation du système de récompense habitue les individus et augmente ainsi la norme du système interne, le cerveau cherchant de plus en plus de récompenses. Ce phénomène touche l’ensemble de la population active et plus fortement les plus jeunes générations. En 2019 plus de 80% des moins de 44 ans déclaraient jouer à des jeux vidéos (9).

La formation, et plus particulièrement celle destinée à aider les individus à améliorer leurs qualités humaines a beaucoup à apprendre et à gagner en s’inspirant du Behaviorisme et de la Captologie.

Et les apprenants dans tout ça ?

A l’heure du smartphone, de la profusion des informations, de l’immédiateté des besoins, les collaborateurs n’attendent pas le Service Formation, ils vont chercher eux même ce dont ils ont besoin.  Le défi des organisations est aujourd’hui de faciliter et d’encadrer le Self Learning, de s’assurer que les collaborateurs ont accès facilement et rapidement aux bonnes ressources, et de contextualiser leurs connaissances dans les pratiques de travail afin qu’elles se transforment en compétences.

Notes : 
1.Beck A.T., Cognitive therapy and the emotional disorders, International Universities Press, 1976.
2.Lally, Phillippa & Jaarsveld, Cornelia & Potts, Henry & Wardle, Jane, How are habits formed: Modeling habit formation in the real world, European Journal of Social Psychology, 2010.
3.Bélanger, Mireille & Allaman, Igor & Magistretti, Pierre, Brain Energy Metabolism: Focus on Astrocyte-Neuron Metabolic Cooperation. Cell metabolism. 2011.
4.Lombardo, Michael M; Eichinger, Robert W, The Career Architect Development Planner, Minneapolis: Lominger, 1996.
5.Burrhus F. Skinner, About behaviorism, Vintage, 1976.
6.MUSATTI, C., The Pavlov theory of conditioned reflexes, Minerva medica,1951.
7.Rolf Dobelli, Arrêtez de vous tromper : 52 erreurs de jugement qu’il vaut mieux laisser aux autres… Éditions Eyrolles, 2008.
8.Robert Cialdini, Influence, the Psychology of Persuasion, Harper Business, 2006.
9.https://fr.statista.com/statistiques/481002/proportion-gamers-francais-age-jeux-video